Alban Lenoir nous l’avait déjà dépeint comme « l’un des réalisateurs les plus talentueux de sa génération ». Et ce n’est pas parce qu’ils forment un duo depuis l’enfance que l’authenticité du compliment perd de sa valeur. Bien au contraire. Simon Astier est un ovni dans le paysage cinématographique français. De ses premiers succès avec Hero Corp au légendaire Kamelott en passant par sa dernière série des studios Warner, Visitors, il prouve qu’il est aussi à l’aise devant que derrière la caméra. Malgré le succès, Simon Astier n’a pas oublié ses racines et est revenu s’installer, la moitié de son temps, dans le Dijon de son enfance. Pour Monsieur en Bourgogne, il retrace son parcours et se prête au jeu d’un shooting photo dans les salles obscures du flambant neuf Cinéma Pathé Dijon.
« J’ai littéralement grandi au parvis Saint-Jean. Après l’école, j’allais au théâtre avec les enfants des autres comédiens et techniciens. »
Monsieur en Bourgogne – Tu as passé toute ton enfance à Dijon. Quel souvenir en gardes-tu ?
Simon Astier – J’ai grandi dans le centre-ville de Dijon. Ma mère était comédienne permanente dans la troupe du Parvis Saint-Jean, donc j’ai connu un Dijon assez idyllique, chaleureux et à taille humaine. J’ai fait toutes mes études jusqu’en première ici et, autant l’histoire avec cette ville a toujours été agréable, autant la fin a été assez dure. Je me souviens du jour de ma rentrée de première au lycée Carnot, on a eu un oral et, comme j’étais bègue, j’ai eu zéro. À partir de ce jour-là, je suis rentré chez moi et j’ai dit que je n’y retournerais plus. C’est là que j’ai quitté Dijon et que je me suis retrouvé à Paris dans un cours privé avec une option cinéma. J’ai fait là-bas mes premiers courts-métrages. Je faisais déjà des petits films depuis l’âge de 12-13 ans, alors quand tu arrives au lycée et qu’on te dit que tu peux en faire pour des devoirs de classe, c’est incroyable. Mais pour revenir à Dijon, j’ai été moulé ici, donc ça reste mon cocon. C’est d’ailleurs pour ça que je suis revenu m’y installer la moitié de mon temps.
C’est d’ailleurs à Dijon que tu rencontres Alban Lenoir. Peux-tu nous parler de votre amitié, de vos premiers projets ensemble ?
J’étais en sixième au collège Marcelle-Pardé et, un jour, en plein cours, il y a un mec qui entre dans la classe et qui dit en nous regardant : « Ils sont chelous les quatrièmes ! » Franchement, je pensais que le gars avait 35 ans tellement il faisait vieux. C’était Alban ! Depuis tout petit, il avait déjà ce rêve-là, je pense qu’il s’ennuyait beaucoup à l’école et qu’il voulait déjà être acteur. D’ailleurs, quand je l’ai rencontré, il voulait faire exactement ce qu’il est devenu aujourd’hui. Et ça, c’est beau ! On était aux extrêmes opposés l’un de l’autre et, pourtant, on s’est trouvé un point commun qu’était le cinéma. Un jour, par le plus grand des hasards, on s’est recroisé à Paris et, à partir de là, on a enchaîné les projets ; écrit un spectacle ensemble (Entre Deux) ; été repéré par M6 ; fait une série qui s’appelait Off Prime avec Virginie Efira et tout à commencé comme ça. Après, j’ai créé Hero Corp, dans lequel il a eu une grosse place. Encore aujourd’hui, on a une fusion totale, on se protège mutuellement et on a toujours un œil l’un sur l’autre dans un milieu qui n’est pas forcément toujours facile.
Tu as baigné dans le monde de la comédie depuis tout petit [étant fils de Lionnel Astier et de Josée Drevon]. Tu dirais que ça t’a forgé pour ton métier actuellement ?
Oui, totalement ! Comme je le disais, j’ai littéralement grandi au Parvis Saint-Jean. Après l’école, j’allais au théâtre avec les enfants des autres comédiens et techniciens. Donc on peut dire que j’ai grandi sur les planches. Petit, j’ai vu du Beckett, du Ibsen, du Pirandello… Tout ça m’a formé au métier par un biais qui n’était pas forcément facile, mais ça m’a donné une exigence et un vrai goût du travail. Pourtant, à l’époque, je ne savais pas encore que je voulais être réalisateur et acteur. Au départ, je voulais être musicien. Peut-être par pudeur de me dire que je n’allais pas me mettre dans le même créneau que mes parents et par peur de ne pas être à la hauteur. Mais inconsciemment, c’était très formateur. Toute mon enfance, j’ai découvert des gens dont l’objectif était de monter des textes parce qu’ils croyaient en ces textes.
D’ailleurs, récemment, tu as toi-même eu envie de monter sur les planches avec Le Discours. C’était avec cette même volonté ?
C’est ça ! Mais je ne voulais pas monter sur scène avec n’importe quoi. Quand j’ai découvert Fabcaro, j’avais l’impression que mon meilleur ami me parlait à l’oreille. Il arrive à faire rire les gens comme s’il nous connaissait intimement. Ce n’est pas quelqu’un qui va essayer de plaire à tout le monde, je pense qu’il est fidèle à ce qu’il est. Je fais aussi ce métier comme ça et je ne fais jamais quelque chose pour les gens. Le Discours, ça parle d’une personne qui doit faire un discours pour le mariage de sa sœur, or tout ce qui touche au mariage ou à la fête le répugne. Pour lui, tout est une douleur et il vit clairement la pire soirée de sa vie. C’est un spectacle sur l’angoisse et sur comment ton monde peut chavirer d’un coup. C’est très intime pour moi de parler de l’angoisse et de parler de comment remonter la pente.
L’une de tes premières grosses réalisations, c’est la série Hero Corp. C’est quoi la genèse de ce long et grand projet ?
À l’époque, on faisait une autre série beaucoup plus classique et mainstream. C’est vrai qu’il y a eu une croisée des chemins et on a dû choisir entre être appelés pour des projets qui nous faisaient moins vibrer ou alors aller sans concession vers quelque chose qu’on pouvait défendre très fort. C’est vers ça que je suis allé. Ce sont toujours ces choix qui m’ont fait grandir. Je savais qu’en faisant Hero Corp, j’étais à ma place et je ne me forçais en rien. De toute façon, dès que j’arrête de faire ce que j’aime, je me perds. Hero Corp, j’avais la vingtaine et je l’ai vraiment vécu comme une carte blanche. Ça racontait des choses très humaines, mais dans le cadre spectaculaire des super-héros. C’est un projet qui a pris 10 ans de ma vie et c’était incroyable.
« Il y a des mariages Kamelott, des mariages Hero Corp, des petits Simon, des petits Alban qui sont nés d’union de fans. C’est incroyable ! »
Pour beaucoup de monde, tu es aussi Yvain, le beau-frère du roi Arthur dans Kamelott. Vingt ans après le début de cette aventure, qu’est-ce que tu gardes de cette expérience ? Est-ce que tu pensais que ça allait prendre cette ampleur ?
On ne venait tellement pas de ce milieu et Alexandre [Astier] avait des convictions très fortes dans un univers où il y a beaucoup de systèmes mis en place. Lui est arrivé en disant : « Je vais être hors de ce cadre et je vais faire ce que j’ai envie de faire ». À ce moment-là, on s’est dit que soit ça allait passer, soit ça allait s’effondrer. On prenait le relais de Caméra Café quand même, ce n’était pas rien. Et puis d’un coup, il y a une transition qui s’est faite et ça a explosé. On s’est rendu compte au fur et à mesure de l’ampleur que ça prenait. À l’époque, c’était fou de voir à quel point on était suivis de partout, les gens connaissaient par cœur les répliques… Encore aujourd’hui, on a des témoignages de gens qui nous disent qu’on a bercé leur enfance. Il y a des mariages Kamelott, des mariages Hero Corp, des petits Simon, des petits Alban qui sont nés d’union de fans. C’est incroyable ! On a de la chance d’avoir une communauté si bienveillante.
2022 est une année très chargée pour toi. Tu as joué dans le dernier film de François Descraques, Le Visiteur du Futur, et tu as surtout sorti ta série Visitors. Pour les personnes qui n’ont pas encore eu la chance de voir cette série, peux-tu nous la résumer en quelques mots ?
C’est l’histoire de Richard qui démarre dans la police dans la petite ville de Pointe Claire. Pour son premier jour, il y a deux objets volants qui se percutent dans le ciel et il va devoir gérer les mystérieux événements qui surviennent dans sa ville.
Quand on regarde cette série, on a l’impression que tu as voulu rendre hommage à un certain cinéma des années 80-90…
C’est la culture avec laquelle j’ai grandi et j’ai été bercé. Il y a beaucoup de mélanges entre plusieurs films comme X-Files, les Gremlins… Je suis même allé jusqu’à tourner des scènes avec des focales des années 90. Cette série, c’est un objet plein d’amour avec un casting vraiment très cool d’amis qui viennent d’un peu partout. On retrouve Florence Loiret-Caille du Bureau des Légendes qui rencontre le duo du Palmashow. Il y a Jerôme Niel du web, Vincent Desagna… À la base, c’était une série pour l’antenne française de Warner Bros. Grâce à ça, on a par exemple pu mettre le logo Batman à l’image. Comme la série a été appréciée, c’est devenu une sortie mondiale et on est diffusés sur HBO Max dans plus de 50 pays déjà.
Il y a aussi beaucoup d’humour dedans. Comment tu qualifierais ton humour ?
J’aime l’humour à froid ; quand c’est l’histoire qui prime avant tout et quand l’histoire ne s’arrête pas pour être marrante. Pour moi, on doit toujours être sérieux quand on fait de l’humour. Cet humour qui mélange le genre et la comédie, on peut le retrouver chez les Anglais comme avec la bande d’Edgar Wright, Simon Pegg et Nick Frost de la « Trilogie Cornetto ».
Et un bon film de science-fiction, qu’est-ce que c’est ?
Pour moi, un bon film de science-fiction, c’est quand on déploie une carte et peu importe les règles du jeu, si c’est déplié avec soin, je vais me dire que j’ai hâte de plonger dans ce monde-là.
« E-T m’a appris beaucoup plus que n’importe quel adulte à gérer l’abandon et la tristesse. »
Tu nous as parlé de tes influences. Est-ce que tu peux nous citer trois réalisateurs ou films qui t’ont donné envie de faire ce métier et t’ont inspiré ?
Spielberg et Shyamalan en réalisateurs ont vraiment été des inspirations. Sinon, comme je le disais, il y a des films comme X-Files, les Gremlins, Ghostbusters qui m’ont beaucoup marqué par exemple. Je ne suis réfractaire à aucun cinéma et je ne snobe rien, bien au contraire. Chez Spielberg, il y a quelque chose que je trouve beau : raconter les choses au premier degré avec une grande naïveté d’enfant. Quand j’étais petit, mes parents n’étaient pas beaucoup là donc j’ai passé mes journées devant des films et des séries et ça a forgé mon ADN. ET m’a appris beaucoup plus que n’importe quel adulte à gérer l’abandon et la tristesse par exemple.
Tout récemment, tu viens de tourner dans Le Visiteur du Futur de François Descraques, un film qui a émergé sur internet et qui est composé de beaucoup de vidéastes et de youtubeurs. Est-ce que tu penses avoir aussi été bercé par cette culture web ?
Je pense que notre génération à nous a plutôt bercé l’univers internet. Les collectifs comme Golden Moustache ou Studio Bagel nous le disent d’ailleurs. Parfois, avec Alban, on se dit : « Mais qu’estce qu’on aurait fait si on avait eu ces outils et ces techniques de diffusion à l’époque ? » Mais, avant d’être des vidéastes, ce sont surtout de très bons acteurs. Je pense à Adrien Ménielle, à Jérémie Dethelot, à Jérôme Niel… Je trouve ça très important de croiser les genres et les univers entre les acteurs. Chacun s’apporte quelque chose.
Pour finir, en tant que réalisateur de science-fiction, tu l’imagines comment le futur ? Est-ce que tu penses que la réalité dépasse parfois la fiction ?
C’est vrai que, quand tu regardes Don’t Look Up, ça fait réfléchir. Ça pourrait même être un reportage sur notre monde actuel. On s’est rendu compte ces derniers temps que ce qui pouvait être du domaine de la peur fantasmée est à nos portes. J’ai du mal à me projeter. Étant papa d’un petit garçon qui grandit et qui se pose pas mal de questions, j’avoue que c’est plus pour lui que je me pose des questions que pour moi. Personnellement, je ne vois pas un futur sans un monde qui reste groupé. L’objectif, c’est que chacun trouve sa place dans ce monde et, à partir de ce moment-là, on pourra créer des ponts. La seule manière d’imaginer le futur, c’est en faisant attention aux autres.
Instagram : @simonastierhc