Quand un petit gars de Champigny-sur-Marne se fait un nom dans le streetwear avant de devenir un entrepreneur reconnu à Semur-en-Auxois. C’est l’histoire hors du commun de Sami Ayad.
Ne vous fiez pas à la photo. Si Sami Ayad s’est prêté, en bon acteur, au délire de notre photographe inspiré par le titre de l’article, il ne cherche pas à faire peur. Bien au contraire. Il nous accueille chaleureusement dans son bar de la rue Buffon, à Semur-en-Auxois. « Ça vous plaît, les gars ? » Il faudrait être difficile pour ne pas aimer ce lieu classe et tendance. On n’imaginait pas un établissement de ce type en plein coeur de la haute Côte-d’Or. Une remarque qui amuse notre homme. « Il est vrai que la ville part un peu de loin. Mais j’ai rapidement eu la conviction qu’il y a avait un fort potentiel sur ce territoire. À 30 kilomètres à la ronde, entre Montbard, Venarey-les-Laumes, Châtillon-sur-Seine, Semur-en-Auxois et Avallon, il y a plus de 70 000 habitants qui ne demandent qu’à sortir et n’ont pas forcément envie de faire 80 kilomètres pour aller à Dijon ! » Ce bar de nuit contribue à faire vivre, même hors saison touristique, la belle rue piétonne de la cité médiévale. Sami Ayad aurait-il commencé à coloniser cette artère ? L’immense salle de sport qui a ouvert à 100 mètres de là, c’est lui. La galerie d’art juste en face, aussi. Sans oublier sa brasserie, toujours rue Buffon, baptisée La Rumeur, comme un pied de nez à ce qu’il dut subir en arrivant à Semur, en 2000. Il faut dire que le personnage dénotait un peu dans le paysage. Un gars de moins de 30 ans, producteur de hip hop (Snipper, For my People, Menace Records…) devenu l’un des pontes du streetwear avec sa marque de vêtements Cumpaz fortement connotée culture urbaine, qui déboule dans l’Auxois… « Nous avions de sacrés problèmes de place et de logistique. Le prix de l’immobilier étant délirant en région parisienne, j’ai cherché un endroit proche de la capitale, le long d’un axe autoroutier et près d’une gare TGV. Semur s’est imposé comme une évidence. » Sami Ayad y crée une plateforme logistique, installe ses bureaux, son site de production et même un magasin d’usine attirant des quatre coins de la France les aficionados du genre.
Raison devient passion. L’entrepreneur tombe amoureux de la ville et de la région. « Je me suis dit que ce serait quand même un endroit autrement plus intéressant que la région parisienne pour vivre avec ma famille. » Pourtant, lui qui est né au Sénégal d’un père libanais et d’une mère française ne regrette pas d’avoir grandi à Champigny-sur-Marne, où il débarque en 1975 à l’âge de deux ans. « Une époque magique de brassage des cultures. Une enfance libre, riche d’échanges, avec des gamins originaires du Portugal, du Magreb ou du Zaïre qui jouaient avec les camps manouches juste en face. On était libres, on voulait croquer la vie mais on était respectueux. On ne faisait pas chier le monde. On avait un cadre solide, notamment dans ma famille où la culture africaine était très ancrée. Un simple regard de mon père suffisait. Je ne supporte pas ces jeunes qui parlent mal à leurs parents et ne respectent pas leurs professeurs. » Ça, c’est fait. Sami Ayad représenterait donc une génération incarnant l’intégration réussie ? « Mon ADN libanais fait que je raisonne différemment. À l’image de mon grand-père quand il est arrivé au Sénégal au début du XXe siècle. Quand on s’installe quelque part, on fait partie du pays et on l’adopte. On n’a rien à revendiquer et aucun prosélytisme à faire. Et on veut juste devenir, si possible, un opérateur économique utile. On regarde, on respecte, on écoute et surtout on fait. »
Je veux aider les jeunes de Semur-en-Auxois et de sa région à s’épanouir
À 46 ans, Sami Ayad a déjà vécu plusieurs vies professionnelles. Il sent le marché et le vent qui tourne. En 2003, il comprend que la grande distribution prend la main sur le streetwear. Il ne s’accroche pas et met sa marque entre parenthèses en la spécialisant sur des séries limitées. « Il ne faut jamais mettre d’égo dans le monde des affaires. Tout va trop vite dans le monde moderne pour ça. » En 2020, côté business, ça va pas mal pour lui merci. Il est devenu président du conseil d’administration d’ALM Group, spécialisé dans l’export vers 22 pays de l’Afrique subsaharienne. « On ne travaille pas cette zone géographique par lubie… La diaspora libanaise très présente sur place me permet de bien maîtriser ce marché magique et si excitant à travailler. » Une belle entreprise de plus de 80 salariés installée à Paris, près de Notre-Dame, et donc à Semur… Du coup, d’aucuns lui prêtent des velléités politiques. Éclat de rire. « J’aime ma tranquillité. Je laisse ça aux autres. Je ne suis pas homme à faire des concessions. Mais l’idée me plaît d’accompagner toutes les actions qui vont permettre aux jeunes de Semur et de sa région de s’épanouir. »