« Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs ». Et si Chirac avait eu raison ? Si cette célèbre phrase, prononcée en 2002 lors du 5e sommet de la Terre, n’était pas encore totalement d’actualité ? Pour comprendre les enjeux du réchauffement climatique et ses répercussions sur notre territoire bourguignon, nous avons interrogé Loïc Rousval, originaire de Semur-en-Auxois, le « monsieur météo » de CNews et de France 3.
Monsieur en Bourgogne – En 2014, Évelyne Dhéliat présentait un bulletin météo fictif d’un jour d’été de 2050. Elle annonçait alors des températures avoisinant les 40°C. Aujourd’hui, la réalité aurait-elle dépassé la fiction ?
Loïc Rousval – Absolument ! Nous ne sommes pas encore en 2050, pourtant les 40°C sont déjà régulièrement dépassés. Le réchauffement climatique s’est accéléré ces dernières années, et plus vite que prévu. Le record de chaleur absolu officiel en France a été relevé à Vérargues dans le département de l’Hérault, avec 46°C à l’ombre. Et nous étions le 28 juin 2019. Pendant la canicule de juillet 2022, Météo France a relevé 40,3°C à Lanmeur dans le Finistère, 40,5°C à Rennes, 41°C dans la Somme, 42°C à Nantes, 42,6°C à Biscarrosse… Du jamais vu depuis le début des relevés météorologiques, il y a 150 ans environ. Concernant la Bourgogne, il a fait plus de 37°C à Semur-en-Auxois cet été, notamment le 19 juillet. Début août, la Côte-d’Or et la Saône-et-Loire étaient en vigilance orange canicule. 39,4°C affichés au Creusot, 37,5°C à Dijon le 4 août.
D’ailleurs, le réchauffement climatique, qu’est-ce que c’est ?
Le terme réchauffement climatique désigne l’augmentation de la température moyenne de la surface terrestre au cours du siècle précédent et du XXIe siècle, en raison notamment des émissions de gaz à effet de serre produites par l’activité humaine. Nous parlons de climat pour évoquer la variation des conditions météorologiques sur le long terme ; pour les prévisions météo classiques, nous sommes sur du court terme. Précisons, car les personnes ont tendance à l’oublier, que le réchauffement climatique ne veut pas dire systématiquement « températures plus élevées » : il pourra également engendrer des périodes de grand froid.
En tant que journaliste météo, comment vous positionnez-vous par rapport à cette situation ?
Il y a quelques années, certains professionnels de la météo, et moi le premier sur les plateaux de CNews et de France 3, nous préférions parler de « changement » ou de « dérèglement » climatique en raison des variations du climat constatées en remontant sur plusieurs siècles. Mais en observant les données et les rapports de ces toutes dernières années, aujourd’hui, nous pouvons sans hésiter utiliser la notion de « réchauffement ». Naturellement, lorsque des phénomènes météo extrêmes et inédits sont observés en France ou à l’étranger, nous en parlons à l’antenne. Mais ce n’est pas toujours simple pour nous d’aborder le sujet. Certains phénomènes sont classiques pour la saison, mais d’autres sont inédits, extrêmes, voire précoces comme la canicule avant mi-juin cet été.
Que faire alors pour alerter la population sur les dangers du réchauffement climatique ?
Il est parfois difficile de trouver le juste milieu pour parler de ce sujet. Nous sommes journalistes, nous relatons les faits, mais, si nous cumulons les annonces, le public peut avoir l’impression qu’on en fait trop sur le sujet. Je n’avais pas l’intention d’être un porte-parole du réchauffement climatique, mais les chiffres, les données et les catastrophes sont malheureusement là. Travaillant notamment sur une chaîne d’info en continu, il m’arrive de modérer mes propos pour ne pas ajouter des mauvaises nouvelles aux mauvaises nouvelles, voire créer la panique chez les téléspectateurs au cœur d’une actualité parfois anxiogène. Je pense que les Français sont attachés aux présentatrices et aux présentateurs météo parce que nous leur apportons un peu d’évasion et de légèreté. Au quotidien, à l’aide des prévisionnistes de Météo France, nous faisons notre possible pour donner les prévisions les plus précises avec sourire et bonne humeur à un public fidèle et sympathique à notre égard. Mais au vu des événements climatiques récents, il me semble que nous nous devons d’informer un maximum les personnes sur les dangers du réchauffement climatique en abordant le sujet ou en multipliant les actions. Nous participons régulièrement à des colloques météo, parfois avec le climatologue Jean Jouzel, nous sommes présents pour répondre à de nombreuses demandes d’interview sur le thème du changement climatique. Récemment, sur mes réseaux sociaux, j’ai posté une vingtaine de gestes souvent simples à appliquer au quotidien pour limiter le réchauffement climatique à long terme.
Le Giec considère que, si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas radicalement réduites, les + 2°C seront dépassés au cours du siècle. Que pourraient engendrer ces + 2°C ? En Bourgogne, comment pourraient se traduire ces évolutions climatiques ?
Le Giec est le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Depuis plus de 30 ans, il fournit des rapports avec un état des lieux sur le climat et dessine des pistes pour limiter l’ampleur du réchauffement en mettant en avant la gravité de ses impacts,tout en apportant des solutions pour s’adapter sur le long terme. Malheureusement, à la fin du siècle, les + 2°C pourraient être même dépassés. Certains phénomènes extrêmes observés ces dernières années dans de nombreux pays sont le résultat d’un réchauffement climatique. Quelques degrés de plus au niveau mondial ou encore une température de l’eau un peu plus élevée accentuent la violence des phénomènes météo. L’intensité des ouragans par exemple est de plus en plus forte. Pendant la période estivale, la température de la Méditerranée était extrêmement chaude : 28°C sur la Côte d’Azur par exemple, 29°C en mer Tyrrhénienne. Pour le plus grand bonheur des vacanciers. Mais, à l’automne, cela favorisera une forte évaporation, des remontées d’air chaud, humide et instable en provenance de la mer qui vont engendrer de violents orages dans le Sud de la France. Les cumuls de pluie sont de plus en plus importants, d’autant plus que tout cela va arriver sur des sols très secs après cette longue période de sécheresse exceptionnelle, dans les régions du Sud-Est notamment. Le mois de juillet 2022 était le mois le plus sec depuis 1959 avec un cumul moyen national de 9,7 millimètres de pluie seulement, 5 millimètres sur une partie du département de la Côte-d’Or. En Bourgogne et dans d’autres régions de France, les canicules seront de plus en plus précoces et intenses, tout comme les sécheresses.
En Bourgogne, nous sommes réputés pour nos Climats et nos vins prestigieux. Question très concrète : les vins de Bourgogne sont-ils menacés ? À quoi pourraient ressembler ces Climats à horizon 2050 ?
Dernièrement, j’ai vu passer une étude qui envisageait les températures les plus élevées sur un quart Nord-Est de la France pour ces prochaines décennies… Les sécheresses devraient s’aggraver et les périodes de restrictions d’eau seront sans doute forcément plus longues. Concernant la quantité de pluie, elle pourrait être stable, mais des saisons seront plus arrosées que d’autres et des épisodes de fortes pluies sont à craindre avec des phénomènes météo plusintenses, notamment des orages avec ce risque que l’on connaît bien et redouté des Bourguignons : la grêle… Si on suit la logique des impacts du réchauffement climatique et les événements observés ces dernières années, des périodes de fortes gelées pourraient être tardives et néfastes pour nos campagnes bourguignonnes. Une étude du Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB) a démontré que le développement de la vigne est plus précoce de 7 à 12 jours par rapport à la période avant 1987. Les vendanges de ces dernières années étaient souvent précoces. Si les températures sont plus élevées, les grains de raisin seront moins chargés en eau et donc plus sucrés, avec donc une teneur potentielle en alcool augmentée.
» Des phénomènes météo plus intenses sont à craindre, notamment des orages avec ce risque que l’on connaît bien et redouté des Bourguignons : la grêle… «
Quelles actions sont-elles engagées pour lutter contre les effets du réchauffement climatique ? Pouvons-nous encore l’endiguer ?
La végétalisation dans de nombreuses villes ; des récipients à compost offerts ou vendus à moindre coût par certaines communes ; des aides octroyées pour l’achat d’un véhicule ou encore d’un vélo électrique ; des navettes électriques, des pistes cyclables et des bornes de recharge pour véhicules électriques ont vu le jour (par exemple, le département de l’Yonne a mis à disposition des bornes pour recharger gratuitement sa voiture) ; les vignettes Crit’Air lancées pour la circulation différenciée dans les grandes villes lors des forts épisodes de pollution, le covoiturage et la seconde main… Ces dernières années, les pouvoirs publics, au niveau national et local, ont mis en place de nombreuses actions pour limiter le réchauffement climatique, mais certainement pas assez alors que le phénomène s’accélère. Il existe encore de nombreuses solutions pour limiter davantage le réchauffement climatique : consommer local et des produits de saison, moins utiliser la climatisation, privilégier encore davantage le télétravail, éviter d’utiliser l’avion pour des courts trajets… Si nous voulons rester positifs, on va dire qu’on peut encore l’endiguer avec des efforts au quotidien. Cependant, je pense qu’il faut quand même savoir se faire plaisir de temps en temps avec des activités qui nous tiennent à cœur, ne pas penser du matin au soir « antipollution » à tout-va. Mais lutter contre le réchauffement climatique est une mission mondiale, il faut que tous les pays fassent des efforts.
Avec Laurent Romejko, vous avez lancé le premier jeu de société sur le climat, le grand quiz « Préservons la planète »…
Papa de deux enfants, je souhaitais, depuis plusieurs années, créer un jeu sur la météo et le climat. J’ai demandé à Laurent Romejko, avec qui je travaille pour l’émission Météo à la carte sur France 3, de me rejoindre dans l’aventure. Par amitié et en raison de son expérience dans la météo, le climat et les jeux de société. Les Éditions Larousse ont tout de suite été emballées et nous ont proposé d’ouvrir le concept aux parents et aux grands-parents. C’est le premier jeu familial sur la météo et le climat, avec 250 questions intégrant les phénomènes locaux (y compris en Bourgogne), nationaux et internationaux. L’idée de ce jeu est de sensibiliser la jeune génération au changement climatique, tout en s’amusant et en partageant des moments conviviaux en famille, et ce à un prix très accessible. Un jeu qui peut être également utilisé par les écoles.
Si, aujourd’hui, vous deviez refaire un bulletin météo fictif pour l’année 2050, à quoi cela pourrait ressembler ?
Si je devais présenter un bulletin météo fictif de l’été 2050, malheureusement, les températures seraient plus élevées, les risques de chutes de grêle et les orages plus nombreux par exemple, la température de l’eau serait bien plus chaude et nous serions certainement en vigilance canicule. Mais je serais bien plus âgé et avec quelques cheveux blancs ! (Rires)